Parcours patrimoine
Le moulin de Saint-Julien
Informations annexes au site
Une si jolie traversée du temps
Une fois passé le barrage de Saint-Samson, le Loiret forme plusieurs bassins et se subdivise en petits bras semés d’ilots – ce qui ajoute à son charme. Le moulin de Saint-Julien, qui a longtemps fait partie du domaine tout proche de La Fontaine, s’inscrit dans ce site exceptionnel resté intact au fil des siècles.
Une fontaine miraculeuse
Sur quelques terres qu’elles possédaient là, les religieuses de la Madeleine, important couvent orléanais établi en 1113 et dépendant de l’abbaye de Fontevrault, avaient élevé, non loin du Loiret, en face de Saint-Samson, un petit oratoire dédié à saint Julien-le-Pauvre (appelé aussi saint Julien-l’Hospitalier), patron des bateliers de rivière. Cette fondation est très ancienne (milieu du XIIe siècle), attestée par de nombreux textes ; on voit par exemple, le 15 février 1225, deux clercs orléanais offrir aux religieuses de la Madeleine 2 arpents de vignes situés près de la chapelle Saint-Julien. Ainsi les religieuses prirent-elles le soin, tout au long du Moyen Age, d’agrandir et mettre en valeur leurs biens au bord du Loiret.
Près du chevet de la chapelle, une fontaine, déjà vénérée par les Gaulois puis consacrée à Saint-Julien, avait des vertus médicinales : on l’appelait « la Fontaine des Galeux » car son eau était souveraine pour guérir la gale et attirait de très nombreux pèlerins. Un pèlerinage annuel, le 28 août, s’y déroulait, et l’on s’y rendait en foule, en empruntant la chaussée de Saint-Samson. Cette fontaine, qui avait donné son nom au domaine et au château de la Fontaine, allait plus tard être intégrée au magnifique parc créé par les propriétaires au XVIIe et au début du XIXe. Une grotte y avait été aménagée, et le charmant M. Deslignières en vantait avec lyrisme les beautés en 1868, dans son Loiret et ses rives :
« Rien aussi de gracieux et de frais comme cette fontaine limpide qui s’échappe mystérieusement de son enveloppe de rochers ! Avec son doux gazouillement et son entourage de fleurs diaprées, elle nous remémore, malgré nous, les sources que les bonnes fées du bon vieux temps faisaient naître sous leur baguette. Et c’est avec peine que nous quittons ces lieux où s’unissent l’art et la nature dans un mariage si parfait… »
Alors qu’elle se tarissait, elle a été bouchée dans la seconde moitié du XXe siècle.
Quant au petit oratoire, au XVIIIe siècle les religieuses de la Madeleine ne s’en occupaient plus guère et en laissaient la garde et l’entretien au meunier de Saint-Julien. Mais on s’y rendait encore, nous dit Louis d’Illiers, « à la fin du XVIIIe siècle, où la procession des Rogations venait chaque année à Saint-Julien. Elle passait par le chemin de la Mothe, longeait la chaussée et traversait le moulin pour gagner la chapelle. » Vendue à la Révolution avec l’ensemble des biens de la Madeleine, la chapelle a été alors transformée en maison d’habitation et agrandie ; mais il en reste encore d’intéressants vestiges : sur le mur sud un bas-relief quadrilobé représentant une brebis et son gardien avec une houlette, une fenêtre ogivale à l'est, la charpente d'origine et la cave.
Un très vieux moulin
Soucieuses d’ajouter d’autres revenus à ceux de leurs vignes de Saint-Julien, les soeurs de la Madeleine s’occupèrent d’y établir un moulin, attesté dès 1412. C’était, dès l’origine, un moulin à foulon destiné à fouler les draps. Vers 1434, le frère Jehan Olivier, prebstre et prieur du prioré et église de la Magdalene lez Orliens entreprit de le reconstruire sur ses deniers et en fit donation par testament en 1448 « à madame l’abbesse de ladict abbaye de Fontevrault de deux moulins à eau avec leur appartenance près de Saint Julian le Pouvre. » Ce moulin à deux roues allait s’avérer très rentable pour les religieuses qui, quelques années après, n’hésitèrent pas à faire l’acquisition du moulin des Béchets et du moulin de la Mothe, leur apportant aussi de confortables revenus. On les voit également surveiller jalousement leur droit de pêche sur leur portion de rivage – la pêche alors était une autre de leurs ressources.
Au début de la Révolution, les Dames de la Madeleine sont spoliées de tous leurs biens et leur moulin de Saint-Julien est vendu comme bien national, en novembre 1790, avec la chapelle attenante, à Avoye Seurrat, veuve de François Pinchinat, propriétaire de La Fontaine. Le moulin restera aux mains de ses descendants (les familles d’Illiers et de Négroni), jusqu’en 1972.
En 1804, le vieux moulin avait été loué par le sieur Chapeau-Bodin pour y établir à grands frais une manufacture de quincaillerie, équipée de « martinets » destinés à battre le fer et entrainés par le système hydraulique. Le moulin produisait des chandeliers en fer poli, des vis et des roulettes de lit, des limes etc. Mais dès 1814 il avait retrouvé sa vocation de moulin à farine, qu’il allait poursuivre vaillamment jusqu’en 1957, date à laquelle le dernier meunier de Saint-Julien a cessé ses activités.
Le parc du château de la Fontaine
En 1638, Léonor de Raganne, écuyer, secrétaire du roi, et qui avait épousé Madeleine Lamirault (très vieille famille d’échevins orléanais, alliée aux plus grands noms de l’Orléanais : Colas, Beauharnais) racheta la modeste propriété de vignes de La Fontaine constituée depuis la fin du XVIe siècle : il fit construire le corps principal du château, agrandit son domaine en rachetant vers l’ouest une centaine d’hectares de vignes qui appartenaient alors aux Célestins d’Ambert, et fit dessiner le parc en étoile. Ce fameux parc et son rond-point ouvrant sur huit allées qui existe encore, étaient attribués à Le Nôtre. L’orangerie date aussi de cette époque. C’est ce remarquable jeu de perspectives très Grand Siècle qu’admirait Emile Huet en 1898 dans ses Promenades pittoresques dans le Loiret :
« Là un carrefour s’ouvre au milieu d’une chênaie séculaire coupée par deux grandes allées en éventail. Quelle ombre ! Quelle perspective et quelle fraîcheur ! Plus loin, à droite, vient un rond-point octogonal en charmille et comme fond de tableau, par toutes les allées qui y aboutissent, ici un jet d’eau, gerbe jaillissante, là les échappées sur le Loiret, d’un côté un sous-bois de frênes superbes, de l’autre des moulins : partout un art infini… C’est cette partie du parc dessinée à la française qui peut être attribuée à Le Nôtre. »
Dans la fin du XVIIIe siècle, le château est agrandi de deux ailes par Avoye Seurrat, veuve de François Pinchinat, qui lègue son beau domaine en 1808, à son arrière-petit-fils, Hector Léon Patas d’Illiers. Grand amateur de jardins, ce dernier va remanier une grande partie du parc dans le style paysager « à l’anglaise ». Il conserve les deux fameux ronds-points en étoile de l’époque classique et dessine en pendant un potager à la française. Mais tout le milieu du parc est mis à la mode du temps, planté d’essences encore rares : tulipiers de Virginie, sophoras, cyprès chauves, cèdres d’Afrique et du Liban. Une pelouse descendant en pente douce dégage la vue sur le Loiret, autrefois obstruée par de hautes charmilles datant du tracé à la française. Un bras du Loiret, désormais canalisé dans le parc, enjambé de petits ponts rustiques, se faufile sous des voûtes de feuillages.
Les moulins font office de « fabriques », et une grotte cachée sous les lianes abrite la fameuse fontaine. Il fait également construire une nouvelle orangerie. L’effet est enchanteur, et les voyageurs viennent nombreux admirer cet admirable jardin :
« À deux heures nous partîmes pour aller à la Fontaine chez M. d’Illiers. Le parc me parut l’un des plus jolis que j’aie vu ; la multitude de beaux, d’admirables ombrages et de magnifiques fleurs me charmèrent. L’arrivée, dont les arbres touffus d’une belle forêt peuvent seuls donner l’idée, m’avait prévenue de la manière la plus favorable. Et lorsque je me trouvai devant l’étang que forme le Loiret, je donnai cours à mon admiration.
M. d’Illier a lui-même dessiné toutes les allées, planté le jardin anglais, et passé plusieurs jours dans l’eau jusqu’à la ceinture pour jalonner le cours qu’il voulait faire prendre à l’un des bras du Loiret. Un homme assez enthousiaste de sa propriété, pour se donner tant de peine pour l’embellir, ne pouvait que me savoir bon gré d’en sentir toutes les perfections ; aussi loin de chercher à arrêter mon torrent de louanges, il me faisait remarquer de nouvelles beautés qui m’étaient échappées. Tout est riant et délicieux dans ce séjour. On a su profiter habilement de mille accidents de la nature ; une ouverture aménagée au milieu d’un massif de beaux hêtres laisse apercevoir les tours ciselées de Sainte-Croix, qui paraissent une noble et grande fabrique, bâtie à dessein pour l’agrément de la vue du château. Il en est de même d’un moulin à eau que n’appartient point à M. d’Illiers. L’orangerie est superbe… » (Paris en province et la province à Paris, par Mme Georgette Ducrest, 1831)
Quelques années après, en 1848, la SHOL visitait le parc de la Fontaine et publiait un compte rendu dithyrambique de cette visite dans la Revue Horticole :
« Le perron est garni ou précédé d’une forêt d’hortensias en caisses ou en pots. Il faut dire une forêt, car tous ces hortensias sont énormes, et l’on en remarque deux qui atteignent la hauteur de 5m25, et deux autres celle de 2m80, et chargés de plus de 400 fleurons d’un volume considérable.
(…)
Ici le coup d’oeil est magique. À ses pieds, on a cette pelouse, créée en 1808, qui s’étend jusqu’au Loiret et qui vous y mènera en pente douce, présentant en face et dans une île, une plantation d’érables à feuilles jaspées, de cèdres du Liban ayant 20 mètres de hauteur, de chênes pyramidaux, de pins Cimbro et de mille autres variétés d’arbres rares et précieux ; à droite des groupes d’arbres et d’arbustes, rares aussi, précieux aussi, charmants surtout et qui sont comme une broderie destinée à conduire insensiblement le regard jusqu’aux grands bois du parc ; enfin à gauche, des massifs, qui cachent les potagers et plus bas la fontaine qui a donné son nom à la propriété.
En bas de la pelouse se trouve, sur le bord du Loiret, un cyprès chauve très remarquable. En remontant et en laissant à droite et à gauche la pelouse et ses épicéas et ses hêtres pourpres et ses Paulownias, on arrive au parc français, puis en suivant la grande allée, on rencontre le grand rond ornement caractéristique des jardins dessinés par Le Nôtre. (…)
Les maîtres de ces beaux lieux en font leurs délices ; les jardiniers n’ont eu, de père en fils et depuis 50 ans d’autre soin, d’autre désir que de les embellir. Heureuse alliance du genre français et de la fantaisie anglaise, due à l’habileté de la conception et à l’exactitude de l’exécution. »
Sans oublier les orangers qu’admirent ces messieurs de la SHOL : « Dans le potager sont alignés 43
orangers de première force, beaux encore, absolument beaux malgré les ravages de l’inondation de
l’année 1846 ; l’un de ces arbres a été placé en pleine terre, et l’on compte, pour l’hiver, le conserver
sous une serre volante. » Louis d’Illiers nous raconte que le revenu de la vente des fleurs d’oranger
de La Fontaine servait à payer le salaire annuel d’un jardinier.
Ce beau parc créé par un châtelain-paysagiste de talent a traversé le temps, entretenu par ses descendants : c’est aujourd’hui encore l’exemple parfait de la juxtaposition harmonieuse d’un jardin de style classique et d’un jardin du XIXe de style anglais. Les arbres d’essences remarquables plantés par Hector Léon Patas d’Illiers, cèdres, tulipiers, cyprès chauves, magnolias sont désormais de taille majestueuse.
Une joyeuse équipée dans le parc de la Fontaine
On savait joyeusement faire la fête et s’amuser très simplement de tous les plaisirs champêtres dans nos petits châteaux des bords du Loiret au Siècle des Lumières : le jeune Jean-François Rozier, dont les parents possédaient la propriété du Lazin à Olivet, relate dans son Journal une fantasque cavalcade à ânes qu’il organise en 1783 avec ses soeurs et des camarades de son âge :
« Le jeudi 2 [octobre], grande partie d'âne matin et soir dans laquelle nous eumes beaucoup de plaisir. Nous sommes allés gagner la Fontaine en parcourant une prairie toute émaillée de fleurs ; arrivés à la Fontaine nous avons traversé le beau milieu du jardin par la grande allée et sommes passé tout au bas du bâtiment. Il y avait ce jour-là grande-compagnie à la ditte maison de la Fontaine, tout le monde était à jouer lorsque nous entrâmes (il était cinq heures 8), aussitôt on quitte le jeu, les uns se mettent aux fenestres, les autres viennent sur le perron pour nous voir passer et riant tous comme des fous de voir cette singulière cavalcade, et surtout de cette façon d'entrer tout à fait sans gesne chez des gens que l'on ne connaît pas. Au sortir de La Fontaine nous sommes allés par les moulins gagner la Motte, où nous sommes entrés (à pied), et nous y étant promenés environ une demie heure, nous sommes remontés sur nos jeunes bidets, et piquant des deux nous avons suivi le chemin qui conduit au Bourg… »